Harleen + L'amour d'une soeur, parfois, est trop fort. Destructeur, même. Oui, c'est ça ; elle m'a détruite.

I know we're one, just me and you...

Un bol de céréales, Batman à la télé, ma sœur à côté de moi, mon père faisant mine de lire son journal et ma mère qui parle déjà au téléphone à sept heures trente du matin, c’était ça mon enfance. Un truc simple, sans histoire. Un truc agréable. Les histoires de famille ? Très peu pour nous. Je ne voyais mes grands-parents qu’une fois tous les deux ans, grand maximum, et ils ne me manquaient pas. Nous avions notre bulle. Notre petit sanctuaire, notre joli appartement à New York. Pourquoi New York ? Je n’en ai aucune idée. Je sais simplement que mes parents s’étaient installés dans cette ville quelques années avant ma naissance, au moment où ma sœur est entrée dans leur vie. Je crois que ça avait été un rêve, pour ma mère et que mon père n’avait fait que suivre par amour. Moi, je n’ai connu que New York, pendant longtemps. Ses rues, ses gens, son ambiance. Une grande, grande ville… Une ville que j’aimais. Une ville que j’ai arpentée en long, en large et en travers avec ma grande sœur. Pamela, de quatre ans mon ainée. Une sorte de modèle pour moi, je ne voyais que par elle, toujours. Quoi qu’elle disait, j’étais toujours partante pour la suivre. Quoi qu’elle faisait, j’étais toujours là pour la couvrir. Et inversement. Personne, pas même nos parents, n’arrivaient à comprendre ce lien que nous avions. Ce lien si fusionnel qu’être séparées plus de quelques heures étaient une douleur insurmontable. Elle était mon modèle, j’étais son trésor. Pamela et Harleen, Harleen et Pamela… Nous étions indissociables, et personne ne pouvait nous séparer. Personne. Est-ce que j’étais heureuse ? Oh oui. Je n’aurais troqué ma famille contre aucune autre. Même si mes parents avaient une passion à la limite du malsain pour Batman, même si ma mère me rabâchait les oreilles avec sa fichue Alice… Tout était parfait, à cette époque. Tout.

« Un jour, on s’en ira. On ira découvrir le monde, ensemble. » Cette phrase m’avait fait rêver, lancée en plein milieu d’une soirée film entre sœurs. Enlacées l’une à l’autre, comme si nos vies en dépendaient, bercées mutuellement par nos chaleurs respectives. « Quand t’auras 21 ans, Harley, on se prendra dix ou quinze ans de notre vie et on fera le tour du monde. » Elle me caressait les cheveux, son ventre collé à mon dos, et ses baisers qu’elle déposait au creux de mon cou avaient ce don de me faire frissonner. « J'te suivrais au bout du monde, Ivy. Et bien plus loin, encore... » Ouais, c’était ça, notre rêve. Partir. Voyager. Faire le tour du monde. De toute façon, j’avais compris très tôt que l’école et moi, on ne s'entendrait pas. Je préférais les projets avec ma sœur à un rêve d'avenir professionnel, et les petits boulots ne m'ont jamais dérangés. On a préparé ce voyage un peu fou, on a travaillées chacune de notre côté pour mettre de l’argent de côté. Alors, ouais, on ne gagnait pas des millions et nos parents avaient une situation confortable et ne comprenaient pas pourquoi on se tuait dans des boulots sous-payés… Mais notre projet, on le gardait pour nous, c’était notre secret. A nous, rien qu’à nous. On continuait à vivre, on essayait. Mais on savait qu’on ne devait pas trop s’attacher aux gens. Amis, petits-copains, tout ça était à petite dose dans ma vie. De toute façon, j’étais trop discrète pour me faire totalement remarquer… Et puis, je m’en fichais. L’enfance, l’adolescence… Tout ça est passé avec une rapidité déconcertante, sans soucis. Et un jour, j’ai eu 21 ans. C’était il n’y a pas si longtemps que ça. C’était le début d’une folle aventure.

What is love ? Baby don't hurt me, no more...

« Ivy ? J’ai un truc à te montrer. » Une surprise, un cadeau. Un truc pour fêter ma majorité, alors qu’on finissait de régler deux ou trois petits détails pour notre grand tour du monde. Mon T-shirt tomba sur le sol, me laissant en soutien-gorge devant ma sœur, alors que je me retournais doucement pour lui faire découvrir le tatouage fait quelques heures plus tôt. Un tatouage imposant, qui me prenait l’omoplate gauche toute entière. Poison Ivy et Harley Quinn enlacées, symbole de ce trop plein d’amour que j’avais pour ma sœur. Quelque chose qu’on comprenait toutes les deux, sans avoir besoin de l’expliquer ; merci Papa, merci Maman, de nous avoir donné les prénoms des deux plus grandes super-vilaines de l’univers de Batman… Ses doigts effleurèrent la peau encore rougie, et je me crispais légèrement à ce contact. « Harley… C’est… C’est magnifique… » Elle m’embrassa, comme si souvent, avec sa douceur et sa tendresse. Et moi, je me sentais fondre. Est-ce que j’étais amoureuse de Pamela ? Aucune idée. Et ça n’avait pas d’importance… La nouvelle de notre tour du monde tomba comme le couperet sur le cou d’un condamné, laissant un blanc dans le salon de notre enfance. Mais on préparait ce projet depuis six ans. Et rien, ni personne – pas même nos parents – ne pouvaient nous détourner de ça. Alors, nous sommes parties. Et nous avons voyagé. Nous avions pensé à tout, ou presque, nous nous étions organisées. Et c’était merveilleux. Absolument merveilleux… Jusqu’à ce qu’on se paye le luxe de s’offrir une nuit à l’hôtel. Ce fut une très, très mauvaise idée…

J’ai hurlé, lorsque ma sœur s’est fait tuer. J’ai hurlé de toutes mes forces, de toutes mes tripes, lorsque son corps est tombé devant moi, comme une masse. C’était comme si j’avais moi-même reçu le coup de grâce, comme si je souffrais ce qu’elle ne pouvait plus souffrir. Comme si mon âme se déchirait, comme si je brûlais de l’intérieur, comme si j’étais en train de me fissurer, de me briser… Je me suis enfuie, j’ai couru, couru, couru… J’étais paniquée, j’étais choquée, j’étais déboussolée. C’était un cauchemar. Un simple cauchemar… Je voulais que ça en soit un ! Je me suis réfugiée dans un coin, incapable de tenir plus longtemps sur mes jambes. J’ai vomi. J’ai tremblé. J’ai pleuré, longtemps. Et elle est revenue. Je l’ai vue devant moi… Et j’ai hurlé encore, en essayant d’épouser la forme du mur pour m’y fondre toute entière. « Harley, tu as dit que tu me suivrais au bout du monde. Et bien plus loin encore… Tu t’en rappelles ? Tu avais 15 ans, ma puce, mais moi je m’en rappelle. » Elle tenait un couteau. Un couteau dont la lame luisait et que mes yeux étaient incapables de quitter « Je t’en prie, Ivy… » Ma voix tremblait comme si jamais je n’avais été capable de la contrôler. « On sera ensemble pour toujours. Je sais que tu partiras, sinon. » Je ne me souviens plus du reste. Je me souviens juste de la douleur, lorsque la lame s’est abattue en moi. Je me souviens que j’ai vu mon corps, et le sourire de Pamela. « Je te hais... » C’est la dernière phrase que j’ai dites à ma sœur, encore bouleversée, avant de m'enfuir aussi vite que je le pouvais...


Un mois que j’erre ici. Un mois. J’ai compris que ça ne s’arrêterait jamais. Et je veux vivre, maintenant. Je veux profiter des excès… Je veux oublier.