Penchée à la fenêtre, elle respirait l'air saturé de Londres à plein nez, poussant des gémissements plaintifs à un rythme saccadé. Les yeux larmoyants, elle tentait désespérément de recouvrer son souffle. En vain. Sa respiration s’exténuait, sa fréquence cardiaque s’accélérait. Les coups qui résonnaient dans la porte de sa chambre s’agençaient avec les battements de son cœur. Elle ferma les yeux. Elle tenta de penser aux belles choses, celles qui la retenaient, mais rien ne vint à son esprit. Sa raison de vivre ? Elle l’avait perdue quelques minutes plus tôt, en face de cet hôtel. Elle balança la tête vers l’avant. Et elle plongea.
Sa tête vint se fracasser contre le chaud bitume de la chaussée. Une flaque de sang se forma, s’écoulant à travers la fente localisée sur sa tempe. Et elle ouvra les yeux. Elle avait survécu. Elle survivrait encore et encore. Elle
lui appartenait, maintenant.
Pour toujours.
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Et si le Destin existait réellement ? Et si notre existence avait été tracée d'avance, tel un complot savamment orchestré ? Étant jeune, je n’aurais jamais cru à toutes ces stupidités. Je m’intéressais à l’astrologie, à l’occulte, sans vraiment y croire. Mais après toutes ces années, ma certitude que nos vies étaient déjà prévues s’est accentuée. Mon destin à moi, c’était la tristesse. La solitude. Le deuil. Un amoncèlement de catastrophes, entrecoupé de faux-espoirs déguisés en moments heureux. J’aurais autant préféré savoir d’avance que je ne connaîtrais jamais la quiétude, au moins je m’y serais préparé. Mais puisqu’il n’en était pas ainsi, autant faire avec. Têtue comme j’étais, j’ai tenté de combattre ma destinée. Rien n’y faisait. La détermination n’y pouvait rien si on n’avait pas la chance qui vient avec.
Jusqu’à ma mort, j’étais une femme sans histoire. Née dans les années 20, j’étais le modèle typique de la future femme au foyer. Non pas que je manquais d’ambition, mais à vrai dire, je ne me voyais pas ailleurs. En fait, je n’osais pas demander plus qu’une vie tranquille, entourée de mon mari et de mes enfants. Et apparemment, c’était déjà trop.
J’avais 25 ans lorsque je l’ai rencontré. Il s’appelait John. John Ratcliff. Qui aurait cru qu’Ashley, la petite Londonienne dessinée pour une vie monotone, rencontrerait un jour un homme d’affaires spécialisé dans le commerce automobile ? La nouvelle fut accueillie comme un miracle par mes parents, qui commençaient à s’inquiéter que je ne sois pas encore mariée. Leur crainte fut vite estompée, lorsque nous nous unirent à la fin de l’année. J’étais au paradis.
Mon ascension continua lorsque, deux ans plus tard, j’accouchai d’Edward. Dès que je l’ai vu, je suis tombée amoureuse de lui. Peut-être même un peu trop. J’en suis même devenue trop protectrice, refusant carrément de le laisser seul deux minutes. Si bien que mon lien d’attachement à son égard se transforma en une véritable obsession. Lentement, je me désintéressais de John.
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Le stress commença à lui gâcher l’existence. Les cris incessants du bébé. Mon désintérêt total à son égard. Son emploi du temps surchargé. Il finit par craquer. Sur un coup de colère, il démissionna de son emploi. En d’autres termes, il nous ficha à la porte de notre propre chez nous. Il perdit la raison. Il ne cherchait même plus à se trouver un job. Au lieu de ça, il piochait sans cesse dans nos économies, et il claquait cet argent au bar d’un hôtel louche, le Fitzgerald, qu’il disait. Moi, je n’avais rien à redire. J’étais une femme, après tout. Mon rôle c’était de faire vivre le gosse, de préparer les repas de Monsieur et de nettoyer la maison pour qu’il vienne gerber sur mes tapis en revenant défoncé du bar du coin.
Et ce qui dut arriver arriva. La crise. On n’avait plus un sou, et la maison était loin d’être payée. Cet enfoiré en fit une pierre deux coups, et il m’annonça qu’il déménageait au Fitz. J’étais confuse. Je savais que mes sentiments pour lui s’étaient détériorés, mais il en restait un petit fond. Me séparer de lui ? Je n’avais pas les moyens. Lui non plus. J’ai donc tenté de l’endurer pendant un mois, mais je commençais à craquer. On suffoquait, dans cette chambre miteuse. Et les cris d’Edward ne rendaient pas cet endroit clos très relaxant. J’étais captive. Je passais la journée enfermée dans une pièce crasseuse de 5m² carré pour qu’il revienne soûl mort dans les environs de minuit, heure à laquelle il me violentait, puis se rendormait sans même me dire bonne nuit.
Après 6 mois de souffrance, j’ai décidée de fuir. Agrippant la main de mon fils maintenant âgé de 5 ans, je sortis de ma chambre, déambulant à travers les couloirs sans savoir où j’allais. Finalement arrivée au lobby, je fonçai tête première dans les portes battantes de l’entrée. L’air frais frappa ma peau de plein fouet pour la première fois depuis des lunes. Regardant à peine à droite et à gauche, nous nous élançâmes dans la rue achalandée de voitures, nous frayant un chemin entre celle-ci.
Des hurlements effroyables vinrent à mes oreilles. Je sentis brusquement la main de mon fils s’échapper de mon emprise. Puis, plus rien.
À mon chevet se trouvait le corps inanimé d’Edward. Ses petits bras frêles bordaient son torse atrophié. En longeant son corps du regard, je remarquais vite que quelque chose manquait. Sa tête. Elle avait explosé en mille morceaux.
Non seulement je venais de perdre ma raison de vivre, mais en plus, j’avais cette image barbare qui me hanterait pour le restant de mes jours.
J’hurlais ma douleur au monde entier. Mais tout le monde s’en fichait. Des accidents, on en voyait à tous les jours. Les gens étaient trop occupés à mener leur vie de façon robotique, totalement incapables de ressentir la moindre émotion humaine. Personne ne se souciait de ce qui venait d’arriver à mon fils. Sauf lui.
Non, il n’était pas triste. Pas le moins du monde. Au lieu d’une expression horrifiée, un rictus malveillant se dessinait sur le visage de John, qui s’était fondu dans la masse de gens attroupés devant l’Hôtel. Celui-ci s’engouffra à l’intérieur sans me jeter de regard.
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Penchée à la fenêtre, elle respirait l'air saturé de Londres à plein nez, poussant des gémissements plaintifs à un rythme saccadé. Les yeux larmoyants, elle tentait désespérément de recouvrer son souffle. En vain. Sa respiration s’exténuait, sa fréquence cardiaque s’accélérait. Les coups qui résonnaient dans la porte de sa chambre s’agençaient avec les battements de son cœur. Elle ferma les yeux. Elle tenta de penser aux belles choses, celles qui la retenaient, mais rien ne vint à son esprit. Sa raison de vivre ? Elle l’avait perdue quelques minutes plus tôt, en face de cet hôtel. Elle balança la tête vers l’avant. Et elle plongea.
Sa tête vint se fracasser contre le chaud bitume de la chaussée. Une flaque de sang se forma, s’écoulant à travers la fente localisée sur sa tempe. Elle n’était pas triste. Elle n’était pas heureuse. Elle attendait la mort comme une vieille amie. Mais rien ne se passa. Elle était toujours là, consciente, étendue sur le stationnement. Elle se releva, se détachant de son corps. Elle formait une nouvelle entité.
Vêtue d’une ample robe noire, elle marcha avec grâce vers le lobby. Elle ne prenait même pas le temps de comprendre pourquoi elle était toujours en vie. Elle savait tout, elle ne savait rien, tout ça à la fois.
On dit qu’elle aurait alors pris l’ascenseur, se dirigeant vers une chambre, semblant avoir une direction précise en tête. Pénétrant à l’intérieur de celle-ci, elle aurait violement poussé un homme à travers la fenêtre. Son nom ? John Ratcliff.
Cette femme, qui, selon la légende, hante toujours les couloirs du Fitzgerald, est maintenant surnommée la Dame en Noir. Elle est toujours à la recherche du grand amour. Mais gare à ceux qui tenteront de la trahir…