Arya ☼ le chant des sirènes

Au gré des saisons, des photomatons, je m'abandonne à ces lueurs d'autrefois

Il y a cet homme. Il est grand et si beau. J'essaye de me concentrer sur mes cours de Français, mais il me jette des regards en coin et je mordille mon crayon à papier, gênée. Il est si beau... L'heure passe et je ne peux me concentrer sur autre chose que son regard envoûtant. Peut-être vais-je enfin connaître l'amour? Lorsque je sors de classe, je sens une main retenir mon bras, et je me retourne alors. C'est lui.
« Une Sirène... Je n'ai pu détacher mon regard de toi... » Je baissais les yeux, en rougissant. C'était la première fois qu'un garçon m'approchait. Je n'aimais pas le contact de sa main sur mon bras, alors je me dégageais doucement, mais à peine fus-je éloignée de lui que je ressentis un manque. Un manque qui provoqua un bond dans ma poitrine. Lucas - car c'était ainsi qu'il s'appelait - prit ma main, réalisant mon souhait de le toucher à nouveau - et m'emmena manger une glace sur le gazon vert de Cambridge. Puis il me proposa de le rejoindre le soir même pour une balade en barque. J'étais si heureuse.
Les mois passèrent, et je ne revoyais ni mon père, ni ma mère. Et je tombais amoureuse. On passait tout notre temps ensembles, et je finis par accepter ses mains sur mon corps nu, ses caresses, son souffle dans le creux de mon cou. J'étais enfin heureuse, j'échappais à mes cauchemars et mes rêves d'enfants se réalisaient. Je n'avais pas le prince sombre, mais un prince lumineux. Je n'avais pas le grand manoir, mais un appartement aux alentours de mon université. Et je goûtais enfin au bonheur après des années de malheur. Je pensais que la vie avait enfin décidée de m'accorder de sa bonté, je pensais que les choses allaient changer et que j'allais pouvoir échapper à l'emprise parentale et surtout paternelle. Lucas n'a jamais su ce que mon père m'avait fait, il n'a jamais su à quel point j'en avais souffert, à quel point j'avais été seule. Mais il m'a aimé, la fille aux couleurs vives mais si sombre à l'intérieur. Tant de noirceur qu'il chassait par le simple fait d'exister. Il m'aimait, et c'était la première fois que je me sentais aimée.

« Lucas? Pourquoi une Sirène? » Voilà six mois que notre idylle avait commencé, et je n'avais jamais eut le courage de lui poser la question. Il jouait avec douceur de la guitare, tandis que recroquevillée sur le balcon, je regardais Cambridge dans la nuit. Il fit une mauvaise note et me répondit, concentré : « De quoi parles-tu chérie? » Je voulus secouer la tête et lui dire que ce n'était pas grave. Mais je ne pus, car je voulais savoir. Je ne savais pourquoi, mais c'était plus fort que moi. Alors je me tournais vers lui, apportais la cigarette à mes lèvres et baissais les yeux. « Tu as dit que j'étais une Sirène le jour de notre rencontre. Pourquoi? » Il rata une nouvelle fois sa corde et leva les yeux vers moi. Je lui souris timidement et il posa sa guitare avant de me tendre les bras. Je me levais et m'asseyais sur ses genoux, en écartant ma main de lui pour ne pas le brûler. Il déposa un baiser sur mes lèvres et sourit. Un air grave et sérieux s'afficha soudainement sur son visage et je sentis mon coeur s'arrêter un instant, puis repartir. « Il y avait tant de noirceur en toi. Mais ta beauté était foudroyante. Je n'ai pu regarder ailleurs, je n'ai pu penser à autre chose que toi durant cette heure Arya. Et ce n'était pas seulement ta beauté, c'était ton aura, ce que tu dégageais. J'ai senti que tu serais mon plus beau cadeau, mais aussi la cause de ma mort... » Je fronçais les sourcils et plongeais mon nez dans son cou, comme pour cacher ma réaction. Je n'avais pas le prince sombre, mais j'étais la princesse des ténèbres. Une sirène. Il avait su lire en moi comme jamais personne. J'aimais nager, depuis toute petite, c'était le seul moment où je me sentais vivre. Il l'avait compris, il avait tout compris. Et si j'avais su, je l'aurai éloigné de moi à l'instant où ces mots étaient sortis de sa bouche.

Le vent menace les châteaux de sable façonnés de mes doigts

Un jour, je me suis mariée. Avec Lucas. En secret à Cambridge. Je n'ai pas invité mes parents, qui ne méritaient pas d'assister à mon bonheur alors qu'ils n'avaient contribué qu'en mon malheur. J'étais heureuse, mais bien évidemment, l'idylle ne dura pas longtemps. J'ajoutais à mon nom Holly le Mills de Lucas, et les choses allaient pour le mieux. Et puis un soir, un appel venant de mon père me parvint. Je ne décrochais pas, tremblante. Mais par la suite, des menaces, des menaces de mort. Il refusait que sa petite fille soit à un autre, que quelqu'un d'autre puisse l'aimer et la toucher, qu'elle ai pu renier son nom de famille. Mais je n'ai prévenu personne. Car je ne voulais expliquer à personne ce que mon père alcoolique m'avait fait dès mes douze ans. Je ne voulais pas qu'on lise en moi et que chaque secret soit étalé au grand jour. Alors un soir, j'ai glissé mes jambes sous mes draps froids, et j'ai tenté de m'endormir. Mais un bruit me réveilla et paniquée, je me levais. « Lucas? Lucas c'est toi? » J'avançais doucement, posant un pied après l'autre avec délicatesse. C'est alors que je sentis quelque chose de dur s'écraser sur ma tête, et je m'évanouissais alors.

Lorsque je me réveillais, j'étais allongée dans une chambre que je ne connaissais pas. Une chambre miteuse, avec une tapisserie à fleur et une odeur de moisie. Je regardais autour de moi, et remarquais une présence dans l'obscurité. Mon père se trouvait là, et lorsqu'il bougea, je sentis l'odeur d'alcool qui émanait de lui. Je ne pleurais pas, jamais.

Mais je restais coincée dans cette cabane pendant près d'un an. Sans aucun moyen de joindre la vie extérieure. De nombreuses fois, j'avais tenté de joindre Lucas, mais rien n'y faisait rien. Mon père avait beau être un alcoolique incestueux et détraqué, il pouvait se montrer malin. Chaque nuit, il venait, il se glissait sous mes draps et ses mains baladeuses se promenaient sur mon corps fragile tandis que mon corps entier tentait à le repousser. Chaque nuit je vomissais, mais je ne laissais couler aucune larmes. Je ne voulais pas qu'il voit le mal qu'il me faisait. Alors je ne disais rien. Je ne voyais pas la lumière du jour, seulement à travers les quelques jalousies qui voulaient bien la laisser m'atteindre. Un jour, il vint s'asseoir près de moi. J'avais la conviction qu'un an s'était écoulé depuis mon enlèvement. Il approcha sa bouche et son haleine infecte de mon visage et murmura à mon oreille en posant sa main sur ma cuisse : « Je veux un enfant. » Dégoûtée, je le repoussais alors et attrapais la lampe non loin de là avant de l'écraser plusieurs fois sur sa tête. Par chance, j'avais su installer un stérilet avant mon enlèvement et jusqu'à alors, je ne l'avais pas retiré. Mais lorsqu'il se releva, il me plaqua la tête contre le sol, et je sentis quelque chose déchirer mes entrailles. Un jour, il avait été médecin. Le lendemain, à mon réveil, la chambre était recouverte de sang, de mon sang. J'ouvrais de grand yeux et je recommençais la même chose que la veille. Cette fois, je pris une poêle. Je lui fis les poches et quittais la cabane en courant. Par chance, une femme s'arrêta sur la route la plus proche et me prêta son téléphone. « Lucas! C'est moi... Oh mon dieu, Lucas... » Et pour la première fois depuis un an, je pleurais.

Prendre le large, trouver le calme dans ce vacarme avant que je ne m'y noie

Ne plus pouvoir dormir. Car chaque fois que je ferme l'oeil, je vois son visage horrible, je sens ses mains moites et je respire cette haleine néfaste. Je me retourne. Lucas me prend dans ses bras, comme pour me rassurer. Mais comment l'aimer lui aussi? Désormais que je ne peux plus être touchée. Je me recule et ferme les yeux. « Pas ce soir... » Lucas soupire et m'embrasse dans le cou. Sa main commence à caresser mon corps frêle et mon visage se contracte. Non pas ça. Pas encore. « Arrête... » Je souffle en serrant mes bras autour de mon corps comme pour me protéger. Mais Lucas me fait basculer et se place au dessus de moi. Oui je l'aime. Oui je t'aime Lucas, mais je ne peux pas, car chaque caresse me rappellent celles de mon paternel. Non Lucas, cesse de me toucher, ne m'embrasse pas. Je ne veux pas de toi. Je ne veux pas de toi en moi. « Je t'aime Arya. Tu es ma femme, tu m'as manqué. Je ne veux plus jamais te quitter... Je veux un enfant Arya... » La dernière phrase avait résonné en moi comme la pire des musiques. J'eus l'impression qu'on m’assénait plusieurs coups de couteaux en plein coeur, et des larmes roulèrent sur mes joues tandis que j'embrassais l'homme que j'aimais en lui promettant le plus beau des cadeaux. Je l'aimais, de tout mon coeur, mais je revivais une des ses nombreuses nuit. Et la peur de mettre un monstre au monde, un monstre tel que mon père, me terrifiait. Sur l'instant, j'eus l'impression d'avoir épousé mon père, mais Lucas me faisait l'amour avec douceur, avec passion. Et malgré mes larmes, malgré mes efforts, je ne parvenais pas à aimer. Il finit par s'endormir, et je fermais les yeux avant de me laisser sombrer.

On devait aller dans cet hôtel qui nous permettrait de rester loin de ce monstre qu'était mon père. On avait tout prévu, je devais le tuer une fois qu'il aurait posé pied dans la grille, pour l'emprisonner à jamais. Après cette fameuse nuit, j'avais tout raconté à Lucas. Et il avait compris mon comportement, mon aversion à faire l'amour. Il s'en était voulu, il en avait crié, pleuré. Et impuissante, je l'avais regardé sans rien pouvoir dire. Mais j'étais enceinte. J'étais enceinte de cinq mois et demi, et je devais protéger mon enfant. Alors je donnais rendez-vous à mon père devant le Fitzgerald's hotel, et Lucas se trouvait là. Mais mon père n'était pas stupide, il avait senti le piège venir. Et avant que je n'ai pu l'inviter à entrer, il poussa mon mari jusqu'à l'entrée de l'hôtel et leva une arme vers lui avant de tirer en pleine tête. Je me jetais alors sur le corps mort de mon défunt mari, sans même faire attention à la malédiction qui empêchait toute personne de sortir de l'hôtel. Je me rendis alors compte de mon erreur, et décidant d'inverser les choses, je sortis l'arme de la poche de Lucas et tirais sur mon père qui s'écroula sur le sol froid. Si nous allions rester coincé ici pour l'éternité, mon père resterait mort pour l'éternité. Et en pleurs, je m'agenouillais et pleurais le corps de mon mari. Puis je le traînais jusqu'à l'accueil où une jeune femme aux yeux bleus vint m'aider. Keziah Fitzgerald. Petite fille du diable, m'aida à donner un tombe décente à mon époux, et m'installa dans une des plus belles chambres de l'hôtel.

J'attendis des jours avant de le retrouver, mais il ne se montrait pas. Peut-être cette malédiction avait-elle une faiblesse? Peut-être ne pouvait-il pas revenir?
Mais l'idée ne m'était jamais venu qu'il pouvait se cacher de moi.